«We have to distinguish between wisdom and knowledge. Science is a form of knowledge, art is another form of knowledge; magic is another form of knowledge. There is only one wisdom, which is based on love. »
Francisco Varela
Ce travail suggère que le rôle du son dans cognition spatiale est bien particulier et mérite d’être étudié et exploité plus amplement. Le résultat principal de ce travail est la mise en évidence d’une co-existence entre mécanismes de flexibilité (équivalence fonctionelle) et de complémentarité (synergies), à différents niveaux de la cognition. De façon plus générale, nous suggérons une co-détermination des processus bottom-up et top-down dans les mécanismes d’intégration multisensorielle. Le co-avènement entre action et perception constitue le cœur de la cognition et scelle l’intrication entre corps et esprit, séparés uniquement dans notre modèle du monde. C’est dans cette danse réciproque que se tient notre expérience consciente, dans toute sa richesse phénoménologique, caractérisée par les qualias. Le monde unifié est construit dynamiquement et derrière la question de l’unité de la perception, centrale dans ce travail de thèse, se profile évidemment celui de la conscience. En effet, une altération des processus d’unification peut conduire à une altération du sens de soi, cette dissociation pouvant être vécue sous la forme d’une hallucination. Les expériences autoscopiques en sont un exemple flagrant, elles seraient rendues possible par une dissociation entre localisation du corps physique et localisation du soi percevant (Blanke, Ortigue, Landis, & Seeck, 2002; Blanke et al., 2005; Kahane, Hoffmann, Minotti, & Berthoz, 2003). Chacun de nous peut faire l’expérience de cette dissociation lorsqu’il rêve : aussi saisissante et mouvementée que puisse être notre expérience phénoménologique, notre corps physique est immobile, assurant les fonctions vitales. Des résultats récents suggèrent un lien entre les expériences autoscopiques et des perturbations du système d’éveil (arousal) et d’une manière plus générale un lien fort entre hallucinations et l’état d’éveil caractéristique des phases REM du sommeil paradoxal (Nelson, Mattingly, & Schmitt, 2007; Nelson, Mattingly, Lee, & Schmitt, 2006; Cochen et al., 2005; Arnulf et al., 2000; Meral et al., 2007). L’affirmation de Rodoflo Llinas (1989) que « la perception est un rêve modulé par les entrées sensorielles » prend alors tout son sens à la lumière du rôle postulé des boucles thalamo-corticales (modulées par le système d’éveil) dans la perception (Carter & Pettigrew, 2003; Pettigrew & Carter, 2005). De nouvelles approches thérapeutiques sont alors envisageables.
Un défi majeur pour les sciences cognitives est d’appréhender les différents états de conscience grâce à une utilisation, éclairée par la phénoménologie, des approches oscillatoires de la conscience. La combinaison de différents niveaux d’organisation, dans le cadre théorique des systèmes dynamiques non-linéaires, s’avère à cet égard très prometteuse pour appréhender la conscience individuelle et collective (Tononi, 2004; Vollenweider & Geyer, 2001; Wang & Slotine, 2006) .Ainsi, à un niveau transpersonnel, le couplage entre oscillateurs (consciences individuelles) s’effectuerait par l’intermédiaire de l’empathie. Un bon exemple dont chacun a pu faire l’expérience est l’émergence de résonances émotionnelles lors de célébrations ou rituels collectifs (qu’il s’agisse de sport, de folklore, d’art, de spiritualité). L’empathie n’est donc pas un concept abstrait ou une propriété passive. Elle est ancrée dans notre corps, en particulier à travers la proprioception et les kinesthèses, et se produit à travers le couplage immédiat entre corps et esprits agissant. Cette expérience de l’Autre en tant qu’un autre centre d’orientation dans l’espace, révèle ainsi un nouveau point de vue sur le monde, d’après lequel notre centre d’orientation égocentrique devient un parmi une multitude d’autres. L’empathie est donc le mécanisme fondamental par lequel je reconnais et accepte l’autre comme semblable à moi-même. C’est une faculté qui se pratique et s’applique quotidiennement. Ainsi, les états de conscience dissociés que nous avons évoqués, ne pas uniquement des bizarreries pathologique ou des curiosité phénoménologiques. L’expérience de ce que Thompson (Thompson, 2001) nomme des « modes de conscience non égocentriques», qui consiste à « déconstruire le sens egocentrique du soi » permet en effet de cultiver l’empathie, et s’ouvrir aux autres afin d’embrasser plusieurs points de vue. Le rôle de ces « modes de conscience non égocentriques » dans l’adoption d’une éthique personnelle et collective a été largement souligné par des visionnaires tel que James ou Huxley.
Face à l’insuffisance des approches en troisième personne pour caractériser la cognition haut-niveau, où l’on constate un explosion des différences individuelles, les sciences cognitives s’ouvrent de plus en plus au point de vue de la phénomenologie, dit « en première personne ». Il apparaît en effet souhaitable d’utiliser de manière complémentaire la phénoménologie et les sciences cognitives dans une relation d’illumination mutuelle afin de bâtir une science de la conscience satisfaisante d’un point de vue cognitif et éthique. Cela implique la mise au point et la formation à des techniques d’exploration et de description de la conscience en première personne et leur couplage à des outils neurocognitifs modernes. Il s’agit là d’un enjeu majeur non seulement pour l’avenir des sciences cognitives mais également pour la société humaine. Selon Maturana et al. (Maturana & Verden-Zöller, 1996), nous sommes des animaux empathiques, aimants (de type « Homo sapiens amans »), qui développons l’agression dans une aliénation culturelle, ce qui pourrait modifier en retour notre biologie, et nous faire évoluer vers le type « Homo sapiens aggressans ». Ce type de transition pourrait être à l’origine de l’extinction des autres lignées d’ « Homo sapiens » archaïques. Cette thèse est compatible avec celle soutenue par Victorri (Victorri, 2007). Cette transition coïnciderait selon lui avec l’émergence de la fonction narrative du discours et le passage du protolangage au language moderne. Cette fonction narratrice aurait permis l’évocation de crises passées, afin d’éviter qu’elles se renouvellent, déplaçant ainsi la régulation sociale du niveau biologique vers le niveau socioculturel. Il apparaît donc vital de préserver cette régulation dans un contexte actuel où les notions empathiques d’altruisme et de compassion sont systématiquement reniées par l’usage d’un langage « opérationnel », prônant des notions telles qu’efficacité, économie, progrès, sécurité et perfection.
Tuesday, October 16, 2007
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